Franchise et organisation en réseaux

Franchise et organisation en réseaux

  1. LE RÉSEAU COMME FORME D’ORGANISATION

L’objet de cet articles est de comprendre, à l’aide de concepts théoriques simples, pourquoi la forme organisationnelle de type réseau répond mieux que d’autres au système de contraintes spécifiques qui s’exercent sur la distribution et les services, et donc expliquerait le succès de la franchise, forme particulière de coopération inter-firmes.

Il s’agit de distinguer les différentes configurations que peuvent adopter les canaux de distribution et en particulier les formes traditionnelles présentant un faible niveau d’organisation et de coordination, et les formes à haut niveau d’organisation et de contrôle, dont celles de type contractuel débouchant sur la franchise.

 

CANAUX DE DISTRIBUTION ET SYSTÈMES MARKETING VERTICAUX

Nous définirons les canaux de distribution comme un ensemble d’organisations (firmes) impliquées dans un processus de mise à disposition de biens et/ou de services à l’usage de la consommation.

Le canal de distribution apparaît donc comme un système formé d’agents économiques en interrelations et en interdépendance, chaque membre du système étant dépendant des autres membres pour ce qui concerne l’atteinte de ses propres objectifs.

Comme tout système, le canal de distribution possède des frontières géographiques (aire de marché), économiques (capacité à fournir un certain volume de biens et de services) et humaines (capacité à interagir).

Le niveau d’organisation du processus d’intermédiation ainsi que le niveau d’intégration d’un certain nombre de fonctions font apparaître deux types fondamentaux : les systèmes traditionnels, peu ou pas organisés, et les systèmes organisés (Vertical Marketing Systems.

 

Classification des systèmes marketing selon leur mode d’organisation

 

LES SYSTÈMES MARKETING TRADITIONNELS
(Conventionnal Marketing Channels)

Ce type d’organisation comporte un grand nombre de firmes, producteurs, grossistes et détaillants, qui assument chacune un certain nombre de fonctions en toute autonomie. Elles ne sont généralement en relation qu’avec le niveau immédiatement supérieur et/ou inférieur (niveau fournisseurs et niveau clients) et n’entretiennent pas de relation avec les autres membres du canal.

Cherchant à maximiser leurs profits même au détriment du système, les différentes composantes ont peu ou pas de but commun et se comportent avec une grande indépendance. Une totale décentralisation du processus de prise de décision et de l’autorité qui sont détenues exclusivement au niveau individuel par chaque membre, ainsi que l’absence de coordination en sont des éléments caractéristiques.

De fait, les canaux sont coordonnés à travers des mécanismes de prix et de marchés au sein desquels le marchandage et la négociation supplantent des objectifs précis et une planification détaillée. Toute transaction fait l’objet d’une négociation séparée et les caractéristiques de l’échange sont déterminées par l’interaction des producteurs et des distributeurs en tant que vendeurs et acheteurs sur un marché intermédiaire.

L’avantage concurrentiel de ce type de canal repose notamment sur son degré élevé de flexibilité qui se manifeste par une adaptation rapide aux évolutions de la demande, le faible niveau des investissements requis et sa capacité d’opérer avec des actifs spécifiques, c’est à dire des produits non standardisés, biens ou services (textile mode, bijouterie, décoration, épicerie fine…).

Par contre, cette organisation se prête mal à la réalisation d’économies d’échelles du fait de l’absence de coopération et de relations stabilisées entre les membres, ce qui ne permet pas d’anticiper le volume des transactions futures. C’est pourquoi elle n’est pas en mesure d’atteindre le niveau d’efficacité des systèmes verticaux.

 

LES SYSTÈMES MARKETING VERTICAUX
(Vertical Marketing Systems

Les systèmes marketing verticaux, à la différence des systèmes traditionnels, sont constitués de réseaux de firmes organisées et coordonnées verticalement ou horizontalement. Ces réseaux à forte rotation des capitaux sont organisés pour obtenir un haut niveau d’efficacité technologique, managériale et promotionnelle par l’intégration, la coordination et la synchronisation des flux marketing depuis les lieux de production jusqu’aux points de vente.

Les systèmes marketing verticaux sont composés de membres qui reconnaissent leur interdépendance et dont le rattachement fait souvent l’objet d’un agrément spécifique. De ce fait, les membres sont fortement impliqués et ces systèmes tendent à rester stables. Cette stabilité est renforcée par un pouvoir centralisé, confié à des dirigeants qui sont des professionnels et qui se concentrent sur les coûts, les volumes et les investissements à tous les niveaux du processus de mise sur le marché.

Stabilité du système, pouvoir centralisé, division du travail, coordination mais aussi gestion des conflits et contrôle, fondent le leadership de ce type d’organisation par rapport au canal traditionnel.

L’avantage concurrentiel repose principalement sur les économies d’échelle et de standardisation obtenues à tous les niveaux du processus et sur le niveau de qualité des biens et services commercialisés.

 

  1. Les systèmes marketing administrés

Le système administré est celui dans lequel un membre utilise le pouvoir dont il dispose grâce à sa taille ou à ses compétences pour en organiser le fonctionnement dans un sens qui sert ses propres intérêts (constructeur automobile, compagnie d’assurance…).

Concédant aux autres membres un certain nombre d’avantages, il met en oeuvre des programmes de planification des activités qui tendent à exercer un contrôle étroit sur le marketing-mix de tous les membres du système mais stabilisent les relations entre eux.

Ce mode de fonctionnement repose, soit sur le bon vouloir des membres du canal, soit sur leur situation de dépendance à l’égard de l’institution dominatrice, quel que soit son niveau dans le canal.

 

  1. Les systèmes marketing intégrés

Le système intégré apparaît lorsqu’une institution maîtrise directement tous les niveaux d’intermédiation. Une seule firme assume alors la totalité des fonctions du canal (Ligne Roset par exemple). L’objectif visé est l’obtention d’économies d’échelle et l’élimination du risque de dépendance.

Cependant les systèmes intégrés exigent des ressources importantes en termes d’investissements et de compétences, mais ne procurent pas toujours les avantages économiques attendus. Ils subissent un handicap de flexibilité par rapport aux autres formes d’organisation. De plus, la suppression des intermédiaires ne réduit pas toujours les coûts, et des déséconomies peuvent apparaître notamment en termes de niveau des effectifs, de niveau des stocks et de capacité des dirigeants à traiter l’information, ce qui réduit considérablement le degré de contrôle effectif.

 

  1. Les systèmes marketing contractuels

La franchise est un système marketing contractuel. Au sein du système contractuel, les relations, droits et obligations des différents membres sont contractuellement formalisés.

Des firmes indépendantes opérant à différents niveaux du canal s’organisent contractuellement pour obtenir une efficacité qu’elles ne pourraient obtenir individuellement. Le pouvoir ne dépend donc pas de l’expertise ou de la position dominante comme dans le système administré ou de la propriété comme dans le système intégré, mais de l’accord contractuel passé entre les membres du système.

La coordination peut prendre différentes formes, mais fondamentalement les intervenants visent à obtenir des effets de dimensions comparables à ceux des systèmes intégrés tout en préservant l’indépendance, l’identité et l’autonomie de leurs firmes.

 

  1. COOPÉRATION ET RÉSEAU

Un canal de distribution peut donc prendre différentes formes, forme traditionnelle avec un faible niveau d’organisation des relations entre des agents économiques, systèmes marketing verticaux avec niveau d’organisation et de coordination élevée et intégration de fonctions.

Les systèmes marketing contractuels correspondent à des formes organisationnelles fondées sur l’alliance et la coopération inter-firmes.

Les systèmes marketing contractuels recouvrent le commerce indépendant organisé contractuellement qui comprend :

le commerce associé (Système U, Intersport, Gedimat, Gitem, Krys, Phox…),

les groupements de détaillants (Leclerc, Intermarché),

la franchise.

 

LA COOPÉRATION

La coopération peut être définie comme l’établissement volontaire de relations économiques durables entre deux entreprises (franchiseur et franchisés par exemple) en vue d’un objectif commun.

La coopération entre firmes suppose que les dirigeants aient une vision claire de l’évolution de l’environnement, des investissements à consentir et des bénéfices anticipés.

Des relations durables supposent un niveau élevé d’échange de biens ou de services entre les partenaires et impliquent un engagement mutuel formalisé par un contrat. Le contrat de franchise est un contrat qui spécifie les modalités de la coopération à laquelle s’engagent le franchiseur et le franchisé.

Au sein du système de coopération l’identité juridique des partenaires est préservée.

La coopération visant à établir une relation équilibrée entre les droits et devoirs attribués aux partenaires, le système doit préciser les conditions de partage des risques et l’exercice de la responsabilité de chacun. Les parties acceptent un certain degré d’obligation et fournissent donc en contrepartie un certain degré de garantie quand à leur conduite future.

Mais le problème est délicat car le contrat organise l’imbrication des compétences d’une firme avec celles d’autres firmes pour la réalisation des objectifs particuliers de chacune même s’il y a un objectif commun.

Enfin la coopération doit générer de la valeur pour les partenaires, concept de Value Added Partnership. Cette valeur sera issue d’économies d’échelle, d’une meilleure qualité de la mise à disposition des produits ou bien d’une taille plus importante du système conférant un pouvoir de marché accru.

 

L’ORGANISATION EN RÉSEAU

On peut définir le réseau comme un mode d’organisation endogène par lequel les firmes qui le composent coordonnent leurs activités, combinent leurs ressources et additionnent leurs compétences.

Le réseau apparaît donc comme une structure donnant forme aux relations entre agents économiques, c’est-à-dire qu’en tant qu’objet technico-économique, sa fonction est de mettre en relation des fournisseurs et des consommateurs de certains biens et services, fonction d’intermédiation (du mot intermédiaire).

La coordination entre les firmes membres du réseau, firmes complémentaires mais dissemblables, est assurée par l’accord de coopération qui les unit.

Ce contrat procure un certain nombre d’avantages, en particulier la réduction des coûts de fonctionnement et la réduction d’incertitude :

La minimisation des coûts de fonctionnement : la contractualisation des relations d’échanges fixe le système de règles et de normes qui va régir les relations entre les membres du réseau sans qu’il soit nécessaire pour eux de négocier ou renégocier un agrément à chaque transaction. Cette stabilisation des relations d’échange évite les coûts résultant de la concurrence verticale (entre les différents niveaux du réseau) et de la concurrence horizontale (entre les membres d’un même niveau). Elle élimine aussi les coûts résultant de la recherche d’information, de nouveaux partenaires et de la mise en place de nouvelles relations d’affaires.

La réduction d’incertitude résulte de l’orientation donnée au comportement des membres du réseau. Chaque membre sait contractuellement ce qu’il doit aux autres membres et ce qu’il peut en attendre.

De ce fait la solidarité des membres d’un réseau partageant des objectifs communs, favorise une information de qualité qui circule plus facilement.

On observe dans le réseau un partage des fonctions et des responsabilités induisant une gestion de la complexité par la différentiation, la spécialisation et la répartition d’activités stratégiques complémentaires (conception, fabrication, distribution par exemple)

D’autre part le réseau possède une dimension cognitive collective résultant de l’accumulation d’information commune.

A un niveau plus fin on peut considérer le réseau comme une structure de gestion de compétences spécifiques. Celles-ci sont constituées d’une base de connaissances élaborées par création ou acquisition de connaissances et par une base d’expérience définie par le métier et les choix de spécialisation.

La socialisation des acteurs du réseau à travers l’adhésion à un système de valeurs qui leur est propre, le sentiment d’appartenance à une entité qui dépasse les limites traditionnelles des firmes, et la conscience de l’interdépendance à des objectifs économiques et sociaux ne sont pas sans conséquences.

Ainsi, comme tout acteur stratégique :

  • le réseau affirme une identité spécifique, une différence distinctive généralement exprimée sous forme de valeurs,
  • le réseau est porteur d’un projet, c’est-à-dire d’une volonté d’agir de façon autonome pour affirmer et défendre son identité.

 

APPLICATION A LA FRANCHISE

On peut observer qu’un agent économique disposant d’un savoir-faire distributif, le franchiseur, a le choix, en ce qui concerne le développement des points de vente ou de service, entre deux options : soit financer un ensemble de points de vente ou de service, qu’il contrôle totalement (choix d’un système marketing intégré), soit faire financer cette opération par des franchisés qui prendront en charge les investissements afférents aux unités de vente.

Dans le premier cas cet agent économique pourra conserver la totalité des profits issus des unités dont il a la propriété (succursales) ou qu’il contrôle (filiales). Dans le cas de la franchise il sera amené à partager les profits avec le franchisé qui a fourni le financement des investissements et qui assure la direction opérationnelle de l’unité considérée.

On voit qu’il y a spécialisation des actifs au sein du réseau, actifs distributifs pour le franchisé, actifs du type know how pour le franchiseur.

On observe aussi une spécialisation des membres du réseau sur certaines fonctions. La délégation fonctionnelle consiste à faire assurer par la tête de réseau un certain nombre de fonction (choix des gammes de produits, référencement, collections, négociations tarifaires, plans de vente mais aussi communication et systèmes d’information) qui sont réalisées avec une efficacité économique supérieure.

L’interdépendance est bien réelle. Ainsi la réussite économique du franchiseur est la résultante de la prospérité des franchisés. Celle-ci est la résultante de deux effets combinés :  la qualité du concept (responsabilité du franchiseur) et ‚ la qualité de sa mise en œuvre (responsabilité du franchisé). Mais si la qualité de la mise en œuvre dépend des dimensions managériales et entrepreneuriales du franchisé, elle dépend du savoir-faire qui lui a été préalablement transmis par le franchiseur.

 

En conclusion

Le réseau est une forme organisationnelle bien adaptée à la problématique de la mise à disposition du marché de la consommation de nombreux biens et services car il est en mesure de produire plus de valeur que d’autres formes d’organisation. Mais un réseau n’est pas seulement cela : il est aussi une dynamique collective et c’est probablement là que réside sa plus grande richesse.